Pourquoi l’IA transforme les métiers du conseil et remplacera (en partie) le consultant ?

Pourquoi l’IA transforme nos métiers et remplacera (en partie) le conseil et (peut-être) même les jury des grandes écoles ? 

Introduction

Imaginez-vous face à un étudiant présentant son mémoire de fin d’études. Son travail, impeccable techniquement, a été largement assisté par l’intelligence artificielle. Ses analyses sont précises, sa synthèse fluide, ses recommandations pertinentes. Pourtant, quelque chose manque : cette petite étincelle, cette capacité à surprendre, à sortir des sentiers battus qui fait toute la différence entre une machine performante et un esprit créatif.

Après ma semaine de jury de synthèse d’expérience professionnelle pour les 3ème années d’une grande école, cette réflexion m’est apparue comme une évidence. L’intelligence artificielle transforme radicalement notre rapport au travail et à la performance, mais elle révèle aussi, par contraste, ce qui fait l’irremplaçable singularité de l’intelligence humaine.

Dans un monde où l’IA dépasse désormais les performances humaines dans de nombreux domaines techniques, comment redéfinir notre valeur ajoutée en tant que professionnels du conseil ? Comment accompagner cette transformation sans perdre l’essence même de notre métier : l’intelligence relationnelle, la créativité stratégique et l’intuition humaine ?

L’essor fulgurant de l’IA : quand la machine dépasse l’humain

Une révolution technologique sans précédent

Le rapport AI Index 2025 de Stanford révèle une IA plus rapide, moins chère et plus accessible, portée par des modèles ouverts et une adoption massive en entreprise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, les investissements privés américains dans l’intelligence artificielle ont atteint un niveau historique : 109,1 milliards de dollars, près de 12 fois plus que la Chine (9,3 milliards) et 24 fois ceux du Royaume-Uni (4,5 milliards).

Cette croissance exponentielle s’accompagne d’une démocratisation sans précédent. L’étude observe que les modèles open-weight (modèles ouverts) ont rattrapé en seulement un an les modèles fermés, réduisant l’écart de performance « de 8 % à seulement 1,7 % sur certains benchmarks ». Cette évolution favorise une accessibilité inédite des technologies avancées, rendant disponible au plus grand nombre des outils jusqu’alors réservés aux géants technologiques.

L’industrie au cœur du financement de l’innovation

Le développement de l’IA a connu une transformation majeure dans ses sources de financement. Initialement porté par des équipes universitaires, l’industrie prend désormais presque entièrement la main sur la production des modèles d’IA les plus avancés. En 2024, près de 90 % des modèles notables proviennent du secteur privé, contre 60 % seulement en 2023.

En France, cette dynamique se confirme avec des investissements massifs dans les secteurs stratégiques. La gestion des données et les soins de santé reçoivent le plus d’investissements privés mondiaux. Les entreprises françaises ont levé 1,4 milliard d’euros en 2024 (contre 556 millions d’euros en 2018). Le gouvernement français soutient activement cette croissance avec un montant total des aides nationales et régionales associé aux guichets de financement structurels de Bpifrance s’élevant à 1,5 milliard d’euros en 2022, soit un investissement public 10 fois supérieur à celui de 2018 (170 millions d’euros).

L’hésitation occidentale face à l’IA : entre promesses et inquiétudes

Un enthousiasme tempéré par la prudence

Paradoxalement, cette révolution technologique suscite des réactions contrastées selon les régions du monde. Cette version 2024 du Baromètre de l’esprit critique révèle un intérêt marqué pour l’intelligence artificielle, considérée par 61 % des répondants comme une « révolution technologique majeure ». Cependant, 85 % estimaient qu’une réglementation était nécessaire.

Les études révèlent une hésitation généralisée dans les pays occidentaux. Seulement 26% des personnes interrogées en France indiquent avoir recours à l’IA dans leur travail au quotidien, et seulement 39% prévoient qu’elle fera partie de leurs missions d’ici 2030. Cette prudence contraste fortement avec l’optimisme des pays asiatiques où les populations sont plus convaincues des bénéfices potentiels de l’IA.

Les principales préoccupations françaises

Les inquiétudes des Français se concentrent sur plusieurs aspects majeurs. L’enquête explore également la confiance accordée à l’IA pour réaliser certaines tâches, révélant une confiance pour des fonctions d’analyse et de détection d’erreurs, mais une méfiance pour des rôles impliquant des responsabilités majeures, comme la justice, la médecine ou encore la conduite : 67 % des sondés ne font pas confiance à l’IA pour prescrire un médicament, 72 % pour piloter un avion, et 25 % pour rendre des décisions de justice.

Les Français, et notamment les plus âgés d’entre eux, restent sceptiques face à l’usage croissant des données : 55% voient cette tendance négativement, le chiffre pour l’IA étant quasi identique (51%). Cette méfiance s’explique notamment par la conscience aiguë des Français sur les risques cyber. 82% se sentent « inquiets » ou « très inquiets » des cyberattaques et des menaces sur leurs données personnelles.

L’impact positif de l’IA dans les métiers du conseil

Révolutionner l’efficacité opérationnelle

Pour les professionnels du conseil, l’IA représente une opportunité exceptionnelle d’amplifier leur valeur ajoutée. Les secteurs les plus exposés à l’intelligence artificielle (IA) connaissent une croissance de la productivité du travail près de 5 fois supérieure. Cette transformation permet aux consultants de se concentrer sur leurs compétences distinctives : l’analyse stratégique, la créativité et l’accompagnement humain.

L’IA excelle dans le traitement et l’analyse de volumes massifs de données, permettant aux consultants d’identifier rapidement des tendances, de générer des insights approfondis et de proposer des recommandations basées sur une compréhension exhaustive du contexte client. Les entreprises utilisent l’IA pour amplifier la valeur que leurs salariés peuvent apporter.

Diversification des fonctions et nouveaux horizons

Dans les métiers du conseil, l’IA transforme chaque dimension de l’activité :

En stratégie : L’IA permet d’analyser des écosystèmes concurrentiels complexes, d’identifier des opportunités de marché émergentes et de modéliser des scénarios stratégiques avec une précision inédite. Les consultants peuvent ainsi consacrer plus de temps à la co-construction de visions stratégiques avec leurs clients.

En management : Les outils d’IA facilitent l’analyse des performances organisationnelles, le diagnostic des dysfonctionnements et l’identification des leviers d’amélioration. Ils permettent un accompagnement plus personnalisé et adaptatif des équipes.

En formation : L’IA révolutionne la création de contenus pédagogiques personnalisés, l’évaluation continue des apprenants et l’adaptation en temps réel des parcours de formation. Les formateurs peuvent ainsi se concentrer sur l’animation, la motivation et l’accompagnement individuel.

En prospective : L’IA excelle dans l’analyse de signaux faibles, la modélisation de tendances émergentes et la projection de scénarios futurs. Elle offre aux consultants des outils d’anticipation d’une puissance inégalée.

Des exemples concrets d’intervention

Accélération de la phase de diagnostic : Là où un consultant passait traditionnellement plusieurs semaines à analyser la situation d’une organisation, l’IA peut aujourd’hui traiter et synthétiser des milliers de documents en quelques heures, permettant une montée en puissance immédiate sur les enjeux.

Personnalisation à grande échelle : Dans les missions de transformation, l’IA permet de créer des plans d’action individualisés pour chaque collaborateur, en tenant compte de son profil, de ses compétences et de ses aspirations.

Simulation et modélisation avancée : Pour les missions de prospective, l’IA peut modéliser des millions de scénarios possibles, permettant aux consultants de proposer des stratégies robustes face à l’incertitude.

Optimisation continue : L’IA permet un suivi en temps réel de la mise en œuvre des recommandations, avec des ajustements automatiques basés sur les retours terrain et les évolutions du contexte.

Vers une intelligence augmentée : l’humain au cœur de la valeur

L’avenir du conseil ne réside pas dans une opposition entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine, mais dans leur complémentarité. Les compétences demandées par les employeurs dans les professions plus exposées à l’IA évoluent 25 % plus vite que dans celles moins exposées. Cette accélération impose aux consultants de développer de nouvelles compétences tout en cultivant ce qui fait leur spécificité irremplaçable.

L’IA excelle dans le traitement, l’analyse et la synthèse. L’humain conserve la maîtrise de l’interprétation, de la créativité, de l’empathie et de la vision stratégique. Dans cette symbiose, le consultant devient un chef d’orchestre de l’intelligence augmentée, capable de mobiliser le meilleur des deux mondes pour créer une valeur exceptionnelle.

Les jurys de fin d’études continueront d’évaluer cette capacité unique des étudiants à transcender les analyses techniques pour proposer des approches innovantes, à créer du lien humain et à porter une vision. Car si l’IA peut aider à écrire un mémoire, elle ne peut pas encore porter un rêve, insuffler une passion ou incarner une vision de l’avenir.

Conclusion

Cette semaine de jury m’a convaincu d’une évidence : l’intelligence artificielle n’est pas une menace pour nos métiers, mais un formidable accélérateur de notre impact. Elle libère notre temps et notre énergie mentale des tâches répétitives pour nous permettre de nous concentrer sur ce qui fait notre essence : créer du sens, insuffler de la vision, accompagner l’humain dans sa complexité.

L’enjeu n’est plus de résister à cette transformation, mais de la piloter intelligemment. Les consultants qui sauront maîtriser ces outils tout en cultivant leur singularité humaine prendront une avance décisive sur ceux qui choisiront l’attentisme ou le déni.

Dans une société qui a bien besoin de retrouver de l’utilité publique, cette alliance entre intelligence artificielle et intelligence humaine offre des perspectives extraordinaires. À nous de saisir cette opportunité pour réinventer nos métiers et amplifier notre impact positif sur les organisations et la société.


Je suis Laurent DUMONTEIL, consultant et humaniste. J’accompagne les organisations et les équipes à innover, à se transformer et surtout à redonner de l’utilité publique dans une société qui en a bien besoin.


Références bibliographiques

Blog du Modérateur (2025). L’intelligence artificielle en 2025 : plus optimisée, plus partagée, plus stratégique. Récupéré de https://www.blogdumoderateur.com/

IFOP (2024). 2ème vague du baromètre sur la perception et l’usage des IA génératives par les Français. Récupéré de https://www.ifop.com/

Info.gouv.fr (2024). Retour sur : l’intelligence artificielle en 2024. Récupéré de https://www.info.gouv.fr/

PwC (2024). Baromètre mondial de l’emploi en IA 2024. Récupéré de https://www.pwc.fr/

Leakerneis (2024). Étude : comment les Français perçoivent l’IA et ses usages. Récupéré de https://leakerneis.fr/

Universcience (2024). Baromètre de l’esprit critique 2024. Paris : Universcience.

Retour en haut