En qualité de cabinet conseil spécialisé dans l’accompagnement stratégique des collectivités locales, nous observons quotidiennement les défis auxquels font face les élus et directeurs généraux dans la gestion de cette crise budgétaire sans précédent. Cet article propose une analyse des enjeux actuels et des stratégies à adopter.
Une équation budgétaire de plus en plus complexe
Les collectivités territoriales se trouvent aujourd’hui dans une situation particulièrement délicate. Avec un déficit public national atteignant 5,8% du PIB en 2024¹, l’État se tourne vers elles pour participer à l’effort de redressement. La contribution demandée s’élève à 5,3 milliards d’euros sur les 43,8 milliards d’économies recherchées dans le cadre du budget 2026².
Cette ponction représente un défi majeur pour des collectivités déjà fragilisées par la suppression progressive de leur fiscalité propre. Depuis 2010, elles ont perdu la taxe professionnelle, puis la taxe d’habitation, et plus récemment la CVAE. Ces réformes fiscales, qui représentent plus de la moitié de la hausse des déficits publics entre 2017 et 2023³, ont créé une dépendance accrue aux dotations de l’État.
Dans nos pratiques d’accompagnement, nous constatons que cette situation place les collectivités dans une double contrainte : elles doivent maintenir la qualité des services publics locaux tout en subissant une réduction de leurs moyens financiers.
Les dysfonctionnements du dialogue actuel
Une approche descendante inefficace
Le dialogue entre l’État et les collectivités suit un schéma récurrent que nous avons pu observer lors de nombreuses missions de conseil. L’État présente une vision pessimiste de la situation budgétaire, justifie la nécessité de maîtriser les dépenses, puis impose des conditions de participation que les collectivités n’ont pas pu négocier⁴.
Cette méthode descendante génère incompréhension et frustration. D’un côté, l’État publie mensuellement des documents concluant sur la « bonne santé financière » des collectivités et leur « haut niveau de trésorerie »⁵. De l’autre, les élus locaux font face à des contraintes budgétaires réelles et à une inflation normative croissante.
L’échec des dispositifs de contractualisation
L’exemple des « contrats de Cahors » (2018-2020) illustre parfaitement les limites de cette approche. Ce dispositif d’encadrement des dépenses, imposé de manière unilatérale, s’est soldé par un échec en raison de son caractère non-négociable et de l’absence de co-construction⁶. Dans les interventions auprès de collectivités signataires, nous avons constaté que ce dispositif était perçu comme une mise sous tutelle plutôt qu’un outil de pilotage partenarial.
Nos recommandations stratégiques pour les collectivités
Développer une approche proactive du dialogue
Face à cette situation, nous recommandons aux collectivités d’adopter une posture proactive. Il s’agit de sortir de la position défensive pour proposer des solutions constructives. Cela passe par l’établissement d’un diagnostic financier objectif : les collectivités doivent accepter de jouer la transparence sur leurs charges tout en mettant en évidence leurs efforts déjà réalisés.
Cela passe aussi par la construction d’argumentaires factuels. Il faut documenter précisément l’impact des réformes fiscales et des transferts de compétences sur les budgets locaux
Enfin, la proposition d’alternatives crédibles est au coeur. Plutôt que de subir les décisions, les collectivités peuvent proposer des modalités de participation au redressement des comptes publics
Investir dans l’expertise financière
Les expériences montrent que les collectivités les mieux armées sont celles qui disposent d’une expertise financière solide. Nous préconisons le renforcement des équipes finances afin de développer une capacité d’analyse prospective et de négociation.
Il parait necessaire de poursuivre la formation des élus pour améliorer leur « culture financière » et leur capacité d’argumentation.
Pour conclure ces pistes, l’utilisation d’outils de pilotage permet d’objectiver les discussions et démontrer la soutenabilité des trajectoires budgétaires.
Construire des alliances territoriales
La dispersion des collectivités affaiblit leur pouvoir de négociation. Il convient de mutualiser l’expertise, de partager les coûts d’études et d’analyser « entre collectivités ». Un regard oblique sur des bassins de vie est utile.
Coordonner les positions et développer des argumentaires communs par strate de collectivités est une clef à utiliser.
Enfin et aussi, utiliser les réseaux existants et s’appuyer sur les associations d’élus pour porter des revendications cohérentes.
Vers un nouveau modèle de gouvernance financière
Une instance de dialogue renouvelée
L’analyse de Terra Nova propose la création d’une instance collégiale et paritaire entre l’État et les collectivités⁷. Cette proposition rejoint nos propositions : la multiplicité des instances actuelles (CFL, conférences territoriales, assises) n’a pas permis d’instaurer un dialogue serein⁸.
Cette nouvelle instance pourrait être composée d’un collège État, d’un collège représentant les différents niveaux de collectivités, complétée par un comité scientifique indépendant. Son rôle serait d’établir des diagnostics objectifs et de co-construire les dispositifs financiers.
Une expertise indépendante renforcée
L’Observatoire des Finances et de la Gestion publique locale (OFGL) fait un travail remarquable mais son rôle pourrait être élargi⁹. Nous préconisons de lui donner davantage d’indépendance et d’élargir ses capacités d’évaluation prospective pour éclairer les décisions.
Les conditions d’un nouveau contrat territorial
Une contractualisation équilibrée
Fort de nos expériences d’accompagnements de collectivités dans leurs négociations avec l’État, nous proposons les principes suivants pour une contractualisation rénovée. Pour les collectivités un engagement à respecter une norme d’évolution des dépenses de fonctionnement pilotables. Le respect d’un plancher d’autofinancement et d’un plafond de recours à l’emprunt. Pour terminer, la transparence accrue sur les coûts des services publics.
Pour l’État, nous pensons utile d’effectuer une stabilisation des transferts financiers en fonctionnement. De même une non-contrainte de l’investissement local tout comme une priorité aux investissements « vertueux » semble de mise. Enfin, il s’agit de sortir de la logique des appels à projets largement décriée¹⁰
Une approche pluriannuelle
La mise en place d’une Loi de programmation pluriannuelle des finances locales permettrait de donner la visibilité nécessaire aux collectivités¹¹. Cette Loi définirait des objectifs globaux et les moyens pour y parvenir, créant un cadre stable et prévisible.
Nos préconisations opérationnelles
En tant que Cabinet accompagnant les collectivités dans cette période de transition, nous recommandons une stratégie en trois phases :
Phase 1 – Diagnostic et positionnement (court terme)
Réaliser un audit financier approfondi de la collectivité
Identifier les marges de manœuvre et les contraintes spécifiques
Définir une stratégie de communication et de négociation
Phase 2 – Construction d’alliances (moyen terme)
Développer des partenariats avec d’autres collectivités similaires
Mutualiser expertise et moyens d’analyse
Participer activement aux réflexions sectorielles
Phase 3 – Négociation et contractualisation (long terme)
Proposer des modalités alternatives de participation au redressement
Négocier des contreparties en termes de stabilité des ressources
S’inscrire dans une logique de performance et de résultats
Conclusion
La période actuelle représente un tournant majeur pour les finances locales. Les collectivités qui sauront anticiper, se positionner et négocier efficacement sortiront renforcées de cette crise. Celles qui subissent risquent de voir leur capacité d’action durablement affaiblie.
Nos expériences d’accompagnement des collectivités nous amène à insister sur l’importance de l’expertise et de la stratégie dans cette période charnière. Il ne s’agit plus seulement de gérer l’existant, mais de construire le modèle de financement local de demain.
Les enjeux sont considérables : maintien des services publics de proximité, capacité d’investissement dans la transition écologique, réponse aux attentes des citoyens. Les collectivités qui sauront allier rigueur financière et vision stratégique seront les mieux armées pour relever ces défis.
Je suis Laurent DUMONTEIL, dirigeant du Cabinet DUMONTEIL, à la tête d’une équipe de consultants spécialisés dans l’accompagnement des collectivités territoriales. Quand les budgets se resserrent et que l’État impose ses contraintes, nous aidons les élus et les équipes à transformer ces défis en opportunités. Nous accompagnons les collectivités à repenser leur stratégie financière, à innover dans leurs modes de gestion et surtout à préserver l’essentiel : des services publics de qualité pour les citoyens.
Pour aller plus loin / Sources
INSEE, Comptes publics 2024, mars 2025
Maire Info, « Budget 2026 : 5,3 milliards demandés aux collectivités », juillet 2025
Cour des comptes, « L’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises », janvier 2025
Terra Nova, « Budget 2026 : rebâtir un climat de confiance entre l’État et les collectivités locales », septembre 2025
Ministère des Finances, Bulletin mensuel des finances locales, publications 2024-2025
Olivier Wolf, La Gazette des communes, « PLF 2018 : attention aux effets pervers du renforcement du contrôle budgétaire et financier »
Terra Nova, op. cit., p. 9-10
Sénat, Rapport Gourault-Guillaume, « Rénover le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales », février 2011
Article L1211-4 du Code général des collectivités territoriales
Terra Nova, op. cit., p. 20
Article 52 de la LOLF, Loi organique de décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques
Bibliographie complémentaire
Cour des Comptes, « Les scénarios de financement des collectivités territoriales », octobre 2022
Claire Delpech et le groupe fiscalité, « Quel avenir pour l’impôt local ? », Terra Nova, septembre 2023
François Thomazeau et Johan Theuret, « Collectivités locales et réduction des déficits publics : l’impossible débat », Terra Nova, mars 2025
IGF, « Rationalisation des interventions des opérateurs de l’État au profit des collectivités en matière d’ingénierie territoriale », juin 2025