Quand on demandait à Steve Jobs comment il faisait pour concevoir des produits avec un beau design, il répondait : « Pour bien faire le design de quelque chose, vous devez le posséder. Vous devez piger de quoi il s’agit vraiment. »
Il faut un engagement passionné pour vraiment comprendre à fond quelque chose, le mâcher lentement, pas simplement l’avaler rapidement.
La plupart des gens ne prennent pas le temps de le faire.
Un temps long de maturation semble indispensable pour concevoir. On le voit, le regard des clients ne porte pas seulement sur le « produit », mais sur son impact, sa valeur ajoutée, son contexte. Et cela demande un regard neuf, comme si l’on découvrait ceci pour la première fois.
Que faire si je dois écrire un nouveau programme d’étude pour les écoles dans lequelles j’enseigne ? Comme toutes les activités, voilà une question qui me passionne . Toujours ce lien entre l’étonnement, la curiosité, l’intérêt pour les sujets de société. Ils constituent l’essentiel de mes conversations en famille.
Pour moi, la technologie ne peut pas changer le monde, on ne résout pas le problème de l’éducation en inscrivant le contenu des savoirs dans du cloud ou avec de l’e-learning.
J’aime l’état d’esprit de celui qui débute : « considérer un projet avec un regard neuf. »
Regarder les choses avec fraîcheur, veiller à ne pas s’y habituer, refuser l’indifférence, lutter contre l’esprit blasé qui ne s’étonne plus de rien. Il s’agit bien d’un rapport à la vie, à l’environnement. L’esprit éveillé du commençant lui donne une attention extrême au monde, comme celui qui découvre pour la première fois quelque chose qui l’attire.
L’étonnement d’Aristote
L’aspect encyclopédique de l’œuvre d’Aristote ne peut manquer de sauter aux yeux d’un lecteur novice.
Aristote aime d’abord observer, il ne se sent pas indifférent au monde, il se montre curieux, il a soif de connaître, et il communique cette incroyable énergie.
L’étonnement ou l’admiration sont des sensations agréables. Le spectacle merveilleux de la nature et du cosmos nous pousse à essayer de comprendre pourquoi les choses sont ce qu’elles sont.
L’admiration est toujours liée au plaisir. Ce n’est pas l’angoisse, la mort, ou une expérience traumatisante qui produisent la rencontre originelle avec le monde, cette première fois où se soif de savoir et d’agir, mais cette expérience première, cette dévoile l’être dans sa spontanéité, qui est réjouissante.
C’est dire que garder une attitude de contemplatif, capable de savourer la beauté du monde, même cachée. Mieux que quiconque, le manager, le dirigeant mérite ainsi le titre de sage, au sens latin du terme, sapiens, sapientis, dont l’étymologie beauté du monde.
est la même que « saveur ». Le sage est celui qui savoure la beauté du monde.
Une idée pour repenser le management
L’admiration est toujours liée au plaisir.
Ce n’est pas l’angoisse, la mort, ou une expérience traumatisante qui produisent la rencontre originelle avec le monde, cette première fois où se soif de savoir et d’agir, mais cette expérience première, cette dévoile l’être dans sa spontanéité, qui est réjouissante.
Pouvoir s’étonner, une force au quotidien.
Peut-on voir là un lien avec la philosophie managériale ? Oui, probablement. Il est nécessaire pour un professionnel de développer une fraîcheur du regard sur le monde.
Étonnez-vous ! Restez curieux !
Les chefs d’entreprise sont habités par leurs services, leurs produits, ils passent du temps chaque jour pour anticiper le long terme, ils gardent en tête les indicateurs clés et les interprètent, visualisent le succès, se posent les bonnes questions.
Mais le plus intéressant est peut-être le paradoxe suivant : cette concentration cohabite avec une grande capacité à se déconnecter, à se laisser solliciter par des sujets annexes à leurs activités principales.
L’importance de rester ouvert, en passant du temps seul avec son chien, en pratiquant une activité hors travail, en ménageant des plages de temps libres, en prenant une tasse de café quand vous êtes bloqué dans une réunion infructueuse, en restant créatif.
Cette ouverture d’esprit, cette aptitude à s’étonner de tout sans se laisser absorber par ses tâches quotidiennes pourrait bien constituer le premier conseil.
L’étonnement est la racine de la curiosité et la curiosité mène à la découverte, à la culture générale.
La véritable école du commandement est la culture générale.
L’étonnement nous rappelle que si notre rapport à la vie extérieure commence par une sollicitation du réel, il demande une réponse de notre part, par ce regard qui dépend de nous : nous disposons toujours de cette aptitude à interroger nos sensations les plus immédiates, nos expériences les plus quotidiennes pour nous étonner, apprendre et transformer le monde.
L’étonnement et l’admiration sont des sensations agréables, nous qui sommes habitués au spectacle du monde. C’est que l’univers est beau !
Étonnement et admiration sont étymologiquement liés aux deux sens de la vue et de l’ouie. L’étonnement est lié au tonnerre et l’admiration aux merveilles visuelles. Mais comme l’indique l’étymologie, il y a également une part de crainte dans l’expérience de l’étonnement, effroi du beau, agression de l’inattendu, vacarme du tonnerre, sollicitation du monde qui ne comporte pas encore de solution.
S’étonner en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire est l’activité d’un Homme libre (non celle d’un homme attaché aux nécessités).
Contrairement à ce que l’on croit souvent le profit n’est pas le principal facteur de motivation professionnelle. « Si ton seul but est de devenir riche, tu ne l’atteindras jamais » (John Rockefeller).
Le cœur de l’activité comprend généralement une part désintéressée, sociétale, de l’ordre du service et une dimension rentable adjointe. Cela commence généralement par la curiosité devant un dysfonctionnement, un besoin non résolu, un problème dont personne n’a encore trouvé de
solution.
Les ennemis du regard étonné sont nombreux.
Le travail harassant, l’angoisse de ne pas y arriver ou de ne pas pouvoir conserver son activité, le retard dans la réalisation de ses objectifs, la concurrence cruelle, etc.
La liste est longue de toutes les bonnes raisons d’opprimer notre curiosité et de valoriser l’impératif d’efficacité.
Ce qui est en jeu, c’est le désir, la motivation: sans étonnement, il est difficile de progresser, de prendre plaisir à ce que l’on fait.
Alors profitons de la beauté du monde !
Laurent DUMONTEIL – Je suis Laurent DUMONTEIL dirigeant, consultant. Même dans cette époque du « tout tout de suite », je continue à observer et refléchier pour mieux accompagner les turbulences des clients. J’accompagne les organisations et les équipes à innover, à se transformer et à redonner de l’utilité publique dans une société qui en a bien besoin.